Star de la scène féminine et joueuse emblématique du roster G2 Hel, Colomblbl a répondu à quelques-unes de nos questions.
Le week-end dernier, G2 Hel a validé son ticket pour la finale de l’Equal Esports Cup, qui se déroulera sur la scène de la Gamescom à Cologne, en Allemagne. Une nouvelle occasion pour l’équipe féminine de soulever un trophée, après avoir dominé ses adversaires tout au long de la saison. Les Samouraïs se sont également qualifiées pour la Liga Nexo, la deuxième division espagnole, et seront au départ de la LGC Rising, la nouvelle compétition officielle de Riot Games.
Support de G2 Hel depuis plus de trois ans, Ève « Colomblbl » Monvoisin a joué un rôle clé dans ces réussites. La Française nous a accordé une interview pour revenir sur son parcours, partager ses prochains objectifs et évoquer l’évolution de la scène féminine League of Legends.
Peux-tu nous raconter ton parcours jusqu’à devenir support chez G2 Hel ? Qu’est-ce qui t’a donné envie de te lancer dans l’esport professionnel, et plus particulièrement dans League of Legends ?
« J’ai commencé League of Legends en saison 2 grâce à mon grand frère. Je jouais un peu avec lui, avec mon cousin ou des potes, et finalement je suis restée sur le jeu. C’est un jeu que j’aime beaucoup pour l’aspect compétitif, notamment parce que j’ai été élevée par un père et une mère qui ont toujours aimé la compétition dans le sport. Forcément, quand je jouais, je voulais absolument faire des ranked. Dès que j’ai pu être niveau 30, j’ai lancé mes premières SoloQ et j’ai commencé à être addict à cet aspect-là du jeu. J’ai fait un peak elo platine/diamant 5 à l’époque, c’était pas ouf… donc je ne pensais jamais pouvoir être joueuse pro.
Mais vers 2019/2020, quand j’ai rencontré mon petit copain de l’époque, je suis passée Grand Maître en support, en étant OTP Janna. À ce moment-là, je me suis dit : « Pourquoi ne pas tenter un peu de compétition en équipe ? ». Je me souviens être tombée avec Rhobalas en SoloQ, et il m’avait dit : « Ah mais t’es une fille, je savais pas. Tu te rends pas compte, mais peut-être que tu pourrais faire des tournois féminins, je pense que t’as un bon niveau ». Il a eu la gentillesse de republier mon “Looking for team” sur Twitter, et c’est comme ça que j’ai trouvé ma première équipe en Division 3 française. Là-bas, j’ai fait deux fois les playoffs en Open Tour : Top 4 et Top 8, mais on ne s’est pas qualifiés pour les autres étapes.
À ce moment-là, c’était vraiment beaucoup d’efforts, sans être payée et avec les études à côté. Parfois, je rentrais des cours vers 20h et j’enchaînais trois scrims à 21h. C’était assez compliqué, donc j’ai fait une pause d’un an à un an et demi. Je suis revenue en voyant l’arrivée de la Ligue féminine, et j’avais envie de tenter ma chance pour le fun. On a formé une équipe féminine, et par la suite j’ai eu l’opportunité de rejoindre SK Gaming Avarosa. Mais le projet ne me plaisait pas forcément, alors j’ai rejoint une autre équipe avec Caltys. Au culot, elle et mes autres coéquipières sont allées démarcher de grandes organisations, et G2 a finalement fait le pari de miser sur nous.
Mais honnêtement, je n’avais jamais eu l’ambition d’être joueuse pro. Je savais que je n’avais pas le niveau, et je pense que je ne serais jamais devenu joueuse pro sans la discrimination positive. En soit, c’est un mal pour un bien on va dire. »
Quelles ont été les plus grandes difficultés ou obstacles que tu as rencontrés en tant que joueuse féminine dans ce milieu ?
« Personnellement, je n’ai pas rencontré beaucoup de difficultés. Dès la Division 3, en Open Tour, j’ai été très bien intégrée avec la team Metafun. J’avais une voix, on me critiquait comme on critiquerait quelqu’un d’autre, on m’écoutait comme on écouterait quelqu’un d’autre… Donc, moi, je n’ai pas eu de problème. J’ai eu de la chance à ce niveau-là.
Sauf quelques commentaires sexistes, comme on peut tous en rencontrer en SoloQ ou sur les réseaux, cela n’a jamais été un frein dans ma carrière. On ne m’a jamais refusé d’opportunité ou de tryout parce que je suis une fille, contrairement aux témoignages que j’ai pu entendre ou à certains cas que j’ai pu voir. C’est évident qu’il y a de la discrimination, mais il est toujours possible de la cacher en disant : « Non, c’est juste que t’as pas le niveau ». Alors que la vraie raison, c’est peut-être : « Non, c’est parce que t’es une fille ». »
G2 Hel a réussi des performances historiques cette année, comme la qualification à la LGC Rising et la montée en Liga Nexo. Qu’est-ce que ces succès représentent pour toi personnellement et pour l’équipe ?
« Pour l’équipe, c’est une belle revanche. Même si j’avais des affinités avec certaines joueuses qui sont parties, je trouve que l’équipe marche mieux maintenant en termes de synergie. Je trouve que les personnalités vibent mieux entre elles, et même le gameplay en jeu a plus de cohésion. Pour moi, c’est une grande satisfaction aussi de monter en deuxième division espagnole, en Liga Nexo. C’est une très belle performance, dans une ligue avec de très bons joueurs dans le haut du tableau.
C’est aussi une petite revanche personnelle car j’ai été refusée, à juste titre, par la Karmine Corp pour son projet Blue Stars. J’avais fait les tryouts pour la Division 2 LFL, mais je n’avais clairement pas bien joué ce jour-là. Aujourd’hui, je suis contente de prouver que j’ai ma place en deuxième division : c’était un peu un rêve pour moi d’y arriver.
J’étais contente aussi parce que j’ai pu échanger avec un dirigeant de la KCorp au studio LEC. Il m’a dit : « Sache que si on t’a prise en tryout, ce n’est pas parce que tu es une fille. C’est parce que, statistiquement, tu performes très bien en SoloQ ». À la fin de l’année 2024, j’ai peak à 1004 LP en Grand Maître, donc j’étais très contente qu’il me dise ça. Ça m’avait beaucoup reboostée, et depuis, tout se passe très bien à G2. Je touche du bois (rire). »
La LGC Rising est une grande étape pour la scène féminine de League of Legends. Quel est ton avis sur ce nouveau circuit ? Pourquoi, selon toi, Riot a-t-elle attendu si longtemps pour lancer cette compétition alors que, sur Valorant, le circuit Game Changers est déjà bien implanté ?
« Pour l’instant, je ne sais pas trop quoi en penser. On ne sait toujours pas à quoi le format va ressembler, alors que la compétition doit commencer en septembre et qu’on est déjà à la mi-août… Le même mois, on a aussi la reprise de la Liga Nexo, donc on espère que les dates ne vont pas se chevaucher. Mais pour l’instant, c’est vraiment le flou total. Je pense que ça va être un tournoi “one shot”, et on espère surtout qu’il y aura une vraie ligue l’an prochain. J’ai vraiment hâte qu’une ligue féminine voie le jour, pour enfin pouvoir s’organiser, se préparer et mettre en place des projets sur le long terme.
Pour moi, c’est forcément un peu dommage que le projet soit autant en retard par rapport à la scène féminine sur Valorant. Même si c’est logique aussi, car la population féminine est plus réduite sur League of Legends. La communauté féminine est beaucoup plus développée sur les FPS, et le niveau y est aussi plus élevé.
Forcément, je veux voir la LGC Rising s’implanter et perdurer sur League of Legends. Je suis payée pour jouer (rire), donc s’il y a une ligue féminine, j’ai plus de chances de garder mon travail. On a pu voir beaucoup d’équipes se retirer de la scène féminine récemment, comme c’est le cas de BDS. G2 pourrait très bien prendre la même décision si le circuit n’évolue pas rapidement. »
[OFFICIAL] Riot Games launches Game Changers in EMEA, the First-Ever Official Women’s Competition: LCG Rising
— Sheep Esports (@Sheep_Esports) June 19, 2025
– Competition to take place from August to October.
– Played Online with Finals at Paris Games Week on October 30.
– LGC isn't here to replace existing competition like… pic.twitter.com/BYx6gwYjFA
G2 Hel est souvent vue comme une équipe qui bouscule les codes et fait évoluer la place des femmes dans l’esport. Comment ressens-tu ce rôle de modèle ?
« J’avoue que je ne m’en rends pas spécialement compte. Je suis avant tout là pour gagner, pour remporter des titres avec G2. Si, après, ça motive des gens derrière, c’est que du bonus. Ma génération, on n’a pas vraiment eu de modèle féminin dans l’esport. Je pense à Remilia, et encore… elle n’a malheureusement pas fait long feu sur la scène. Donc c’est toujours bien d’avoir de nouveaux modèles au fil des années – et comme joueuses, en plus.
Pour moi, ce qui fait que je me considère peut-être comme un rôle modèle, c’est vraiment le fait de m’être qualifiée en D2 avec une équipe féminine, par nos propres moyens. Le seul truc que j’essaye aussi de mettre en avant, c’est le fait de pouvoir porter des talons quand tu joues sur scène. Ça, j’avoue que j’adore : être féminine en esport, ce n’est pas impossible. C’est le message que je veux transmettre. On a tendance à s’imaginer que, quand des filles entrent dans un milieu assez masculin, elles vont forcément adopter les codes de la masculinité. Alors que pas du tout… Tu peux slay sur la Faille avec des talons et une robe. »
Finale de la coupe des étoiles 🩷
— Elise 📸 (@unbrix_) October 23, 2024
⭐️BDS Valkyries contre G2 Hel⭐️ pic.twitter.com/GDliI1qXOC
Comment vois-tu l’évolution de la mixité et de l’inclusion dans l’esport en général ? As-tu constaté des changements depuis que tu as commencé ta carrière ?
« Ça va clairement dans le bon sens. Si on remonte deux ou trois ans en arrière, on n’était qu’une ou deux filles, trois au maximum, en troisième division. Maintenant, il y en a de plus en plus en D3, c’est même devenu monnaie courante. Et tant mieux : il faudrait même qu’il y en ait encore plus. Après, il faudrait que, grâce à tous ces efforts, le niveau s’élève par le haut et qu’on voie enfin des joueuses en D2 et en D1. Je sais que récemment, il y a eu Sayna, remplaçante chez Unicorns of Love en Prime League (D1 allemande), ou des joueuses en D1 japonaise et en D2 coréenne. Pour l’instant, ce ne sont que des cas de joueuses remplaçantes, mais ce serait cool de voir des titulaires bientôt.
On voit que ça avance petit à petit. Et c’est bien aussi d’avancer progressivement : il ne faut pas brûler les étapes ni forcer les choses. Mais on remarque déjà que certaines équipes ne se ferment pas à l’idée de recruter des joueuses féminines, si elles ont le niveau nécessaire. Pour revenir sur cet exemple, la KCorp m’a clairement dit qu’ils allaient me traiter comme un joueur quelconque pendant les tryouts pour le projet Blue Stars, peu importe que je sois une femme ou pas. »
Quels conseils donnerais-tu aux jeunes filles qui souhaitent se lancer dans l’esport aujourd’hui ?
« Aujourd’hui, malheureusement, les réseaux sociaux remplacent un peu ton LinkedIn. Donc, si tu veux te faire une place dans l’esport, pas seulement féminin mais en général, il faut te créer un compte Twitter, un compte Instagram, et commencer à publier du contenu, à partager ton actualité. Même si au début tu n’as pas de stats impressionnantes, tu finiras par te faire remarquer. Essaie de te faire une place dans une équipe, même modeste au départ : ça t’ouvrira des portes. Ensuite, si tu as le niveau que tu prétends avoir, on te remarquera et tu pourras rejoindre une grande équipe. Par exemple, c’était le cas pour Rym, notre midlaneuse actuelle chez G2 Hel.
Les réseaux sociaux sont essentiels pour se faire voir, mais il faut aussi garder à l’esprit de jouer avant tout pour le plaisir au début. Dans l’esport aujourd’hui, on ne peut presque plus être joueur pro sans être un minimum influenceur : il faut se montrer et montrer sa valeur. Quelqu’un de nouveau doit presque un peu “se vendre”, montrer ce qu’il peut apporter. C’est quelque chose que j’ai appris à mes dépens : j’étais toujours trop modeste. Si tu ne montres pas ce dont tu es fier, les gens oublient simplement pourquoi tu es là. Il est important de le rappeler : il faut savoir se mettre en avant sans pour autant rabaisser les autres. Le message principal que je veux transmettre, c’est : n’ayez pas peur d’être fier de ce que vous accomplissez. Ne soyez pas comme moi, la fille modeste dans son coin. Sinon, les gens finiront par vous oublier… et peut-être par vous remplacer.
Les réseaux sociaux représentent aussi un risque. Que tu sois une fille, une personne de couleur… peu importe ta différence, tu recevras des critiques. C’est triste, mais c’est la réalité, et il faut s’y préparer. Si tu n’es pas prêt pour ça, alors le métier de joueur pro n’est peut-être pas fait pour toi. »
Avec des compétitions majeures comme l’Equal Esports Cup et LGC Rising à venir, quels sont vos objectifs et attentes ?
« Moi, j’aimerais tout gagner, ce serait vraiment cool (sourire). Mais ce que je veux surtout, c’est remporter une coupe. Gagner des tournois en ligne, c’est bien, mais soulever un vrai trophée en LAN, c’est encore mieux.
Sur le plan personnel, je trouve que j’ai beaucoup évolué cette année, surtout grâce à la dynamique positive de l’équipe. Je veux continuer à progresser chaque jour, devenir une meilleure version de moi-même et conserver ma place chez G2 Hel. Surtout que j’ai déjà 26 ans… un peu vieille pour l’esport (rire). Du coup, je vais me battre pour garder ma place avant que la jeunesse ne me remplace et que je fasse de vieux os ! »
WE'RE GOING TO COLOGNE 🥳
— G2 League of Legends (@G2League) August 9, 2025
Grand Finals at Gamescom LOCKED 🔒 pic.twitter.com/Uekwx4Jo0s
Où te vois-tu, et vois-tu G2 Hel, dans cinq ans ?
« Moi, dans cinq ans ? J’aimerais rester dans l’esport le plus longtemps possible, c’est un domaine qui me passionne. Que ce soit en tant que joueuse ou même manager, ça m’attire. J’aime bien prendre soin des gens, donc pourquoi pas devenir manageuse un jour.
Mais c’est une question compliquée, surtout pour G2 Hel. L’écosystème reste encore trop instable pour se projeter à cinq ans. Pour moi, si G2 Hel tient encore un an de plus, ce sera déjà super. L’avenir dépendra sans doute beaucoup de l’arrivée d’une ligue féminine.
Un autre conseil que je peux donner : ne te projette jamais trop dans l’esport. Vis au jour le jour jusqu’à la fin de ton contrat et donne toujours le meilleur de toi-même, parce que demain pourrait être la dernière game de ta carrière. »
Peux-tu nous parler d’un moment ou d’une partie qui t’a particulièrement marquée depuis que tu joues chez G2 Hel ?
« Si je devais retenir un moment, ce serait vraiment la montée en D2. Au départ, on jouait en troisième division et avec l’ancien roster, les résultats étaient catastrophiques. Je n’avais donc pas trop d’espoirs pour la suite. Mais on a changé quelques choses et commencé à gagner des matchs. Je me suis dit : « En fait, ça clique plutôt bien. » Puis on a enchaîné les victoires, jusqu’à atteindre des finales en LAN. Bon, on s’est fait littéralement rouler dessus en LAN, mais ce n’était pas grave : on avait accumulé assez de points pour monter en D2.
On se qualifie donc pour la D2, on va jusqu’aux playoffs et on participe au vrai tournoi Liga Nexo. Je suis vraiment contente de notre parcours. C’est là que j’ai le plus appris et aussi là où je me suis le plus amusée. »
L’esport va avoir le droit à ses Jeux Olympiques l’année prochaine, avec des jeux comme League of Legends potentiellement à l’affiche. Penses-tu qu’il serait important d’inclure une compétition féminine dès le départ ? Et est-ce que ce serait quelque chose qui te plairait, personnellement, de pouvoir y participer un jour ?
« Participer à un tel événement serait vraiment génial. Mais je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée de créer un tournoi féminin dès le départ. Certains pays n’ont même pas cinq joueuses capables de former une équipe pour une compétition olympique. Si l’on sépare femmes et hommes dans le jeu vidéo, cela implique déjà qu’ils doivent l’être. Personnellement, je ne pense pas que créer une équipe féminine olympique sur League of Legends soit une bonne solution.
Il faut aussi prendre en compte le contexte actuel sur LoL : il s’agit de discrimination positive, dans l’espoir de favoriser davantage d’inclusivité à l’avenir. C’est important, car cela prépare un futur où les choses se feront naturellement, et où j’espère, il n’y aura plus besoin de discrimination positive. L’objectif reste d’ouvrir progressivement les compétitions mixtes aux femmes, afin qu’il ne soit plus nécessaire de créer des circuits exclusivement féminins. L’essentiel est que les joueuses puissent avoir le choix et, pour l’instant, disposer d’un espace où elles peuvent pratiquer la compétition sans craindre les représailles sexistes. »
Si tu as carte blanche pour composer ton roster olympique de rêve, tu mettrais qui dedans ?
« Moi en support, avec Caliste en AD Carry. Pourquoi pas ? Être support d’un ADC aussi fort, ce serait vraiment génial. J’aurais aussi pu choisir Hans Sama. Pour la midlane, je prendrais Eika, je le trouve trop gentil et en plus, il est très fort. En toplane, je choisis Cabochard, et en jungle… le Zac de Marex (rire). »
La 1ère édition des "JO" de l'esport aura lieu l'an prochain en Arabie saoudite.
— Paul Arrivé (@Paul_Dejala) July 12, 2024
Et, selon nos informations, le CIO est en discussions avancées avec plusieurs éditeurs de jeux majeurs de la discipline.
On pourrait donc y voir une compétition par nations sur League of Legends. pic.twitter.com/AtcDoc9tE9