Sorti le 12 septembre sur PlayStation 5, Gloomy Eyes est l’un de ces jeux qui ne laissent pas indifférent. Développé par le studio belge Fishing Cactus et co-produit par ARTE France, ATLAS V, 3DAR et Be Revolution, ce puzzle game en 3D ne ressemble à rien d’autre sur le marché actuel. Après avoir eu la chance d’y jeter un premier coup d’œil à la Paris Games Week 2024, j’attendais avec impatience de retrouver ce petit bijou au croisement du conte gothique et du jeu d’énigmes. Gloomy Eyes est une petite perle d’ambiance, imparfaite parfois, mais profondément sincère et touchante.
Un monde où le soleil s’est éteint
Dès les premières minutes, Gloomy Eyes nous plonge dans une fable macabre où la lumière et les ténèbres se livrent un duel sans merci. Le soleil, lassé par la bêtise des hommes, a décidé un jour de ne plus jamais se lever, plongeant la planète dans une nuit éternelle. De cette obscurité sont nés les zombies — pas des monstres assoiffés de chair, mais des âmes perdues, condamnées à errer entre la vie et la mort. Parmi eux : Gloomy, un petit zombie aussi fragile qu’attachant, que l’on incarne dès le début.
De leur côté, les humains, terrifiés, se sont retranchés derrière les murs de leurs cités, persuadés que les morts-vivants sont responsables de leur malheur. Sous l’influence d’un prêtre fanatique, ils se lancent dans une croisade visant à éliminer toute trace de vie « impure ».
Mais dans ce monde désolé subsiste une lueur d’espoir : Nena, une jeune fille pleine de malice et de courage, persuadée que le soleil peut être ramené.
C’est la rencontre entre ces deux êtres que tout oppose — un mort et une vivante — qui constitue le cœur du récit. Et c’est dans leur union improbable, entre tendresse et désespoir, que naît la magie de Gloomy Eyes. Ensemble, ils vont braver la lumière et l’obscurité, les hommes et les morts, pour tenter de réveiller le soleil et redonner un sens à ce monde figé.
Une narration poétique et envoûtante
Dès la première scène, la voix du narrateur capte l’attention. Calme, posée, presque hypnotique, elle nous raconte cette histoire comme un conte du soir.
La narration, déjà magistralement portée par Colin Farrell dans la version VR de 2020 (et Tahar Rahim en VF), garde ici toute sa puissance évocatrice. Chaque mot, chaque intonation, semble pensé pour plonger le joueur dans cet univers à la fois triste et merveilleux.
L’histoire, bien que simple, est racontée avec une sincérité désarmante. Elle aborde des thèmes forts — la différence, la solitude, l’amour, la peur de l’autre — sans jamais tomber dans la lourdeur. Le ton reste léger, poétique, presque enfantin, ce qui rend le jeu accessible à tous, sans jamais perdre sa profondeur émotionnelle.
Chaque chapitre (le jeu en compte quatorze) est structuré comme une petite fable, avec un début, une tension, et une morale. On sent la patte d’ARTE France, toujours soucieuse de proposer des expériences vidéoludiques à la croisée de l’art et du jeu.
Une direction artistique somptueuse, entre Burton et Méliès
Visuellement, Gloomy Eyes est un enchantement.
Dès l’écran titre, on sent l’hommage évident à Tim Burton. Les couleurs sombres, les silhouettes allongées, les formes tordues : tout évoque L’Étrange Noël de Monsieur Jack ou Les Noces funèbres. Mais là où d’autres se contenteraient de copier un style, Fishing Cactus y ajoute une touche d’émotion sincère.
Le monde est représenté sous forme de dioramas rotatifs à 360°, véritables petites scènes miniatures qu’on peut faire pivoter à la recherche d’indices. Chaque tableau est un petit chef-d’œuvre : un cimetière noyé dans la brume, une ville en ruine éclairée par des lucioles, une forêt envahie par des champignons phosphorescents…
On ne peut pas s’empêcher de s’arrêter, de regarder, d’admirer.
La direction artistique est à la fois ténébreuse et chaleureuse. Rien n’est jamais vraiment effrayant. Même les zombies ont un air attendrissant. C’est ce mélange entre le macabre et le mignon qui donne à Gloomy Eyes toute sa personnalité.
On est dans un univers de cauchemar… mais un cauchemar doux, presque rassurant.
Un gameplay malin, à deux… mais en solo
Le grand atout de Gloomy Eyes, c’est son gameplay coopératif adapté au solo.
Le joueur alterne entre Gloomy, le petit zombie maladroit mais fort, et Nena, la fillette vive et débrouillarde. Chacun a ses forces et ses faiblesses :
- Gloomy peut soulever des objets lourds, pousser des blocs ou activer des mécanismes,
- tandis que Nena peut sauter, grimper ou manipuler la lumière.
Le principe est simple : alterner entre les deux personnages pour résoudre des puzzles environnementaux.
Certains niveaux demandent de franchir des zones éclairées sans se faire repérer, d’autres exigent de coordonner les actions des deux héros pour ouvrir un passage ou débloquer un mécanisme.
Cette “self-coop” — coopérative en solo — fonctionne à merveille. Les énigmes sont logiques, intelligentes et progressives. La première moitié du jeu fait office de mise en bouche, mais la difficulté monte ensuite de façon fluide. Certaines situations rappellent même The Lost Vikings pour leur côté stratégique et séquentiel.
Certes, le jeu n’est pas exempt de quelques petits accrocs.
Il peut arriver que la caméra se bloque ou qu’un personnage se coince dans le décor. Parfois, le changement de protagoniste via la touche triangle peut ne pas répondre immédiatement. Mais ces bugs restent rares, et les sauvegardes automatiques régulières évitent toute frustration.
Globalement, le level design est inspiré et cohérent. On sent une vraie réflexion derrière chaque énigme, et le plaisir de “comprendre” ne se dément jamais.
Un univers miniature à explorer sous toutes ses coutures
Le concept de diorama n’est pas qu’un effet de style : il a une vraie fonction ludique.
En appuyant sur pause, on peut faire pivoter le décor à 360 degrés pour révéler des chemins cachés, des leviers oubliés ou des zones d’ombre dissimulant un interrupteur.
C’est une excellente idée, qui encourage l’exploration et la curiosité.
Chaque diorama est comme une petite boîte à musique gothique. On y devine l’amour du détail : des lampadaires penchés, des plantes qui bougent au passage de Gloomy, des jeux d’ombre subtils.
Cette minutie visuelle contribue à l’immersion et transforme chaque tableau en un petit bijou à observer, presque à contempler.
Seul petit bémol : la manipulation de la caméra n’est pas toujours aussi fluide qu’on le souhaiterait. Parfois, la perspective rend difficile la lecture d’un chemin ou la précision d’un saut. Mais honnêtement, ce sont des désagréments mineurs, largement compensés par la beauté et la cohérence de l’ensemble.
Une bande-son ensorcelante
La musique joue un rôle essentiel dans Gloomy Eyes.
Entre piano mélancolique et violons éthérés, la bande-son évoque aussi bien Danny Elfman que Joe Hisaishi. Elle sait se faire discrète dans les moments de réflexion, puis s’élever soudainement lors des découvertes ou des retrouvailles entre nos deux héros.
Chaque note semble raconter une histoire. Les transitions entre les niveaux sont accompagnées de thèmes doux et envoûtants, tandis que les bruitages — le craquement du bois, le souffle du vent, le bruissement des lucioles — renforcent cette sensation d’être dans un rêve éveillé.
J’aurais simplement aimé un doublage français complet, notamment pour les plus jeunes joueurs, car la narration anglaise (avec sous-titres) peut décourager ceux qui n’aiment pas trop lire. Mais la qualité de la performance originale compense largement cette absence.
Une aventure courte, mais intense
Avec ses trois heures de jeu environ, Gloomy Eyes ne prétend pas rivaliser avec les blockbusters de la PS5. Mais sa brièveté n’est pas un défaut : elle correspond à la nature du jeu, pensé comme une fable interactive.
Chaque minute est utilisée avec soin, sans remplissage ni répétition.
Les joueurs les plus curieux pourront prolonger l’expérience en cherchant les objets cachés dans chaque niveau ou en visant le 100 % des trophées — ce qui, bonne nouvelle, n’est ni frustrant ni chronophage. Comptez environ huit à dix heures pour tout boucler.
Certes, à 24,99 €, certains trouveront le tarif un peu élevé pour la durée proposée. Mais il faut replacer le jeu dans son contexte : Gloomy Eyes est une œuvre d’auteur, co-produite par ARTE, et pensée pour émouvoir plus que pour durer. C’est un petit film d’animation interactif, et dans ce cadre, le prix reste justifié.
Verdict : une lumière dans la nuit
Après avoir terminé Gloomy Eyes, difficile de ne pas en garder un souvenir doux-amer.
C’est un jeu à part, un conte gothique comme on en voit peu, où l’émotion prime sur la performance technique. Oui, il y a quelques bugs. Oui, la caméra aurait mérité un peu plus de soin. Et oui, la durée de vie est courte.
Mais au fond, ce ne sont que des ombres dans un tableau bien plus lumineux.
L’histoire d’amour entre Gloomy et Nena, la poésie de la mise en scène, la beauté des dioramas et la sensibilité du propos en font une expérience que je recommande chaudement à tous les amateurs de jeux d’ambiance.
Gloomy Eyes ne cherche pas à briller par sa grandeur, mais par sa sincérité — et c’est sans doute pour cela qu’il touche autant.
✅ Ambiance gothique somptueuse et unique
✅ Duo Gloomy/Nena adorable et émouvant
✅ Level design intelligent et cohérent
✅ Bande-son ensorcelante
✅ Narration poétique et immersive
⚠️ Caméra parfois capricieuse
⚠️ Quelques bugs mineurs
⚠️ Durée de vie courte